Nous avons adopté la méthode GRADE pour formuler les recommandations de ce guide de pratique clinique (Tableau 1)14, recommandations que résume le Tableau 2. Chaque recommandation s’accompagne d’une raison d’être qui la justifie ainsi que des valeurs et préférences que le comité du guide de pratique clinique a priorisées en s’appuyant sur la documentation existante ainsi que sur les avis de prestataires de soins de première ligne et de personnes atteintes d’HTA.
DiagnosticL’évaluation de la PA à l’aide d’un dispositif automatisé validé et d’une méthode standardisée est recommandée (recommandation forte, données probantes d’un degré de certitude modéré).
Raison d’être : Comme la détection et la prise en charge de l’HTA reposent sur une mesure exacte de la PA, il est important d’utiliser un dispositif validé et reconnu pour son exactitude. On doit donner la préférence aux dispositifs oscillométriques automatisés validés plutôt qu’aux sphygmomanomètres auscultatoires, parce que les premiers sont plus faciles à utiliser et moins sujets à l’erreur humaine et au penchant pour les chiffres ronds (la tendance à arrondir le dernier chiffre), mais aussi parce qu’ils assurent une meilleure reproductibilité15. La validation témoigne d’une relative équivalence entre les mesures du dispositif testé et les mesures auscultatoires manuelles effectuées rigoureusement16. À l’échelle mondiale, seuls 10 % des dispositifs de mesure de la PA offrent une exactitude validée par des données probantes17. Au Canada, 90 % des dispositifs vendus en pharmacie sont validés, contre seulement 45 % de ceux vendus en ligne18. Exceptionnellement, les dispositifs automatisés se révèlent inexacts et la mesure manuelle de la PA devient préférable dans le cas des personnes présentant des arythmies persistantes ou fréquentes et des populations auprès desquelles un dispositif automatisé n’a pas été validé (comme les enfants et les personnes enceintes, qui ne font pas partie de la patientèle visée par le présent guide de pratique clinique)16.
Même lorsqu’un dispositif automatisé validé est utilisé, la précision de la mesure de la PA peut être influencée par de nombreux facteurs. Une méthode de mesure standardisée, ce qui comprend une préparation et un positionnement adéquats de la personne, un matériel approprié et l’obtention d’une PA moyenne sur plusieurs lectures, réduit la variabilité des résultats (Figure 1)22. Des méta-analyses montrent que la mesure automatisée standardisée en cabinet fournit des valeurs qui s’approchent de celles du monitorage ambulatoire de la PA (MAPA) durant la journée et de la mesure de la PA à domicile23,24. En moyenne, les mesures en cabinet non standardisées dépassent de 5–10 mm Hg les mesures standardisées25. Les mesures répétées de la PA et le calcul de la PA moyenne réduisent la variabilité à court terme26. Le nombre optimal de mesures reste incertain, mais dans les essais cliniques récents, on utilisait la technique d’une période de repos assis de 5 minutes, suivie de 3 mesures à intervalles de 1 minute27–30.
Technique optimale de mesure de la PA
Valeurs et préférences : Le comité du guide de pratique clinique accorde une grande importance à l’utilisation d’une méthode de mesure de la PA adéquate et d’un équipement approprié pour assurer des lectures exactes. Cette recommandation vise donc l’exactitude de l’évaluation de la PA, son objectif étant de favoriser un diagnostic juste et une prise en charge adéquate. S’il est vrai que l’accès à des dispositifs validés et à des méthodes standardisées peut être difficile dans certains milieux, cette recommandation souligne la nécessité d’assurer la qualité des mesures afin de réduire les erreurs et d’améliorer les décisions cliniques.
Une évaluation de la PA hors cabinet est recommandée pour confirmer un diagnostic d’HTA ou pour déceler une HTA due au syndrome de la blouse blanche ou une HTA masquée (recommandation forte, données probantes d’un degré de certitude modéré).
Raison d’être : Les mesures de la PA hors cabinet (MAPA et mesure de la PA à domicile) sont utiles pour confirmer le diagnostic d’HTA lorsque la PA en cabinet est élevée. Le MAPA mesure la PA à intervalles de 20–30 minutes, jour et nuit31. La méthode standardisée de mesure de la PA à domicile consiste à effectuer 2 mesures, 2 fois par jour, pendant 1 semaine. Les mesures hors cabinet (et plus particulièrement le MAPA) sont en corrélation plus étroite avec les événements cardiovasculaires et les décès que les mesures en cabinet. Ainsi, une vaste étude observationnelle menée auprès d’environ 60 000 patients et patientes suivis en soins de première ligne a révélé que la pression artérielle systolique (PAS) ambulatoire sur 24 heures était fortement associée à la mortalité cardiovasculaire (rapport de risque [RR] 1,51, intervalle de confiance [IC] à 95 % 1,41–1,62) et à la mortalité toutes causes confondues (RR 1,43, IC à 95 % 1,37–1,49), même après ajustement pour la PA en cabinet32. La mesure hors cabinet est aussi requise pour déceler les phénotypes fréquents d’HTA liée au syndrome de la blouse blanche (PA élevée en cabinet, mais normale hors cabinet; présente chez 15 %–30 % des personnes dont la PA est élevée en cabinet)33 et d’HTA masquée (PA élevée hors cabinet, mais normale en cabinet; prévalence de 10 %–15 %)33,34.
Lorsque les mesures hors cabinet ne sont pas réalisables pour des raisons d’accessibilité, de coûts ou de formation insuffisante de la patientèle ou des proches, des mesures répétées en cabinet selon la méthode standardisée peuvent confirmer le diagnostic. L’établissement d’un diagnostic d’HTA basé sur les mesures de PA d’une seule visite en cabinet réduit la spécificité de ce diagnostic, comparativement au MAPA35. Cependant, on peut envisager cette option dans certains cas, par exemple pour les personnes qui consultent rarement, ou encore qui ne peuvent pas ou ne veulent pas mesurer leur PA hors cabinet.
Valeurs et préférences : Le comité du guide de pratique clinique a priorisé l’exactitude du diagnostic de l’HTA en insistant sur l’évaluation de la PA hors cabinet. Cette recommandation reflète la grande importance accordée à la réduction du nombre de diagnostics d’HTA faussés par le syndrome de la blouse blanche ou par une HTA masquée, de telles erreurs pouvant entraîner des traitements inutiles ou occulter de vrais cas d’HTA. Bien que l’accessibilité et la faisabilité des mesures hors cabinet diffèrent selon les milieux, cette recommandation fait passer l’exactitude du diagnostic avant les éventuelles difficultés de mise en œuvre.
Il est recommandé de définir l’HTA chez l’adulte comme une PA ≥130/80 mm Hg mesurée à l’aide d’un dispositif validé et dans des conditions optimales (recommandation forte, données probantes d’un degré de certitude modéré).
Raison d’être : Selon des données d’observation, dès que la PAS atteint la valeur pourtant faible de 90 mm Hg, on voit une relation continue entre l’augmentation de la PA et celle du risque d’issues cardiovasculaires indésirables36. Néanmoins, à des fins de soins cliniques et de santé publique, il est utile d’établir un seuil formel pour la définition de l’HTA. Dans le présent guide de pratique clinique, nous avons fixé ce seuil à 130/80 mm Hg chez les adultes, soit une valeur plus basse que le seuil recommandé précédemment par Hypertension Canada31.
Ce changement est étayé par des données d’études observationnelles et d’essais contrôlés randomisés (ECR) portant sur la relation entre la PA et l’ampleur du risque cardiovasculaire. Une méta-analyse de données d’études prospectives a montré qu’une PA ≥130–139/85–89 mm Hg représentait un risque relatif d’événements cardiovasculaires majeurs de 1,5–2 fois plus élevé qu’une PA <120/80, et un risque substantiellement supérieur à celui des personnes dont la PA était de 120–129/80–84 mm Hg37. De même, les données d’ECR sur les effets de traitements plus intensifs visant la réduction de la PA ont systématiquement démontré l’efficacité de tels traitements pour diminuer le risque d’événements cardiovasculaires majeurs chez les personnes ayant une PA ≥130/80 mm Hg et, dans certains cas, même lorsque la PA est inférieure à ce seuil, comme on le verra dans la section « Traitement27,28,30,38–44 ». Chez les adultes dont l’HTA est confirmée, on doit procéder aux examens habituels pour évaluer le risque de MCV et dépister les atteintes aux organes cibles (Annexe 1 et Tableau supplémentaire 1, disponibles dans CFPlus*).
Valeurs et préférences : Le comité du guide de pratique clinique a accordé une grande importance à la détection et à l’intervention précoces en abaissant le seuil de la définition de l’HTA (PA ≥130/80 mm Hg) par rapport au seuil de nos recommandations antérieures. Cette recommandation exprime la ferme intention d’être en adéquation avec les données émergentes qui associent le risque cardiovasculaire à des valeurs de PA plus basses qu’auparavant. Il est vrai qu’un seuil abaissé augmentera le nombre de personnes médicalement qualifiées d’hypertendues, mais cette recommandation met en lumière les avantages d’une prise en charge précoce dans la prévention des complications à long terme.
TraitementL’adoption de saines habitudes de vie est recommandée pour toutes les personnes adultes atteintes d’HTA (recommandation forte, données probantes d’un degré de certitude élevé).
Raison d’être : Les habitudes de vie malsaines jouent un rôle majeur dans l’apparition de l’HTA ainsi que dans la morbidité cardiovasculaire et la mortalité qui y sont associées. On doit donc conseiller à toute personne hypertendue de modifier ses habitudes de vie. On observe une relation presque linéaire entre l’apport alimentaire quotidien en sel et la PA45. Des données d’ECR révèlent que, chez des personnes de 60 ans et plus qui ont de l’HTA et des antécédents d’accident vasculaire cérébral (AVC), la réduction de l’apport alimentaire en sodium par le recours à un substitut du sel a entraîné une diminution de 13 % des événements cardiovasculaires indésirables majeurs (rapport des taux 0,87, IC à 95 % 0,80–0,94) ainsi qu’une diminution de 12 % de la mortalité toutes causes confondues (rapport des taux 0,88, IC à 95 % 0,82–0,95) sur une période d’environ 5 ans46. L’OMS recommande de limiter l’apport quotidien en sodium à moins de 2 g par jour47. Fait à signaler, plus de 70 % du sodium consommé dans un régime occidental typique provient des aliments transformés plutôt que du sel de table48.
Un apport alimentaire accru en potassium (par une alimentation riche en fruits et légumes) est associé à une PA moindre et à une réduction du risque cardiovasculaire46,49–51. L’OMS recommande un apport alimentaire en potassium supérieur à 3,5 g par jour52. Une surveillance de la kaliémie s’impose pour les personnes atteintes d’une maladie rénale chronique ou qui prennent des médicaments susceptibles d’augmenter le taux de potassium (p. ex., les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine [IECA], les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II [ARA] et les antagonistes des récepteurs des minéralocorticoïdes).
L’HTA et l’obésité (indice de masse corporelle [IMC] ≥30) sont souvent des comorbidités et, dans ces cas, la perte de poids peut contribuer à la maîtrise de la PA. Une méta-analyse d’ECR sur des régimes amaigrissants chez des personnes adultes atteintes d’HTA et d’obésité a révélé une diminution moyenne de 4,5 mm Hg (IC à 95 % 1,8–7,2) de la PAS et de 3,2 mm Hg (IC à 95 % 1,5–4,8) de la pression artérielle diastolique (PAD), la baisse de la PA étant proportionnelle à l’ampleur de la perte de poids53. Les médicaments amaigrissants, comme les agonistes des récepteurs du peptide-1 de type glucagon (GLP-1), sont aussi efficaces pour améliorer la PA. Par exemple, un ECR sur les effets du sémaglutide chez des adultes qui accusent un excès de poids ou une obésité a montré qu’en plus d’une perte de poids de 12 %, la PAS moyenne avait diminué de 5,1 mm Hg (IC à 95 % 3,9–6,3)54.
L’exercice physique régulier peut également contribuer à la maîtrise de la PA. Parmi les divers types d’exercice, l’exercice dynamique aérobique a été le plus étudié, des données de méta-analyses montrant que, chez des personnes hypertendues, la PAS et la PAD moyennes s’amélioraient respectivement de 6,9 mm Hg et de 4,9 mm Hg55. L’OMS recommande au moins 150–300 minutes par semaine d’activité aérobique d’intensité modérée31,56.
La réduction de la consommation d’alcool entraîne une baisse de la PA proportionnelle à la dose, avec, semble-t-il, un effet de seuil. Des données de méta-analyses indiquent en effet que, chez les adultes qui consomment 2 verres d’alcool ou moins par jour, la réduction de la consommation d’alcool n’avait pas d’effet sur la PA. Toutefois, chez les adultes qui consomment 3, 4–5 ou 6 verres ou plus par jour, la réduction de la consommation d’alcool était associée à une diminution moyenne respective de la PAS de 1,2 mm Hg (IC à 95 % 0,02,3), 3,0 mm Hg (IC à 95 % 2,0–4,0) et 5,5 mm Hg (IC à 95 % 4,3–6,7)31,57,58.
Enfin, bien que les effets du tabagisme sur la PA soient modestes59, on doit conseiller à toute personne hypertendue de cesser de fumer pour réduire les risques de morbidité cardiovasculaire et de décès associés au tabagisme60.
Valeurs et préférences : Le comité du guide de pratique clinique a priorisé le rôle fondamental des saines habitudes de vie dans la prise en charge de l’HTA, reconnaissant leurs immenses bienfaits au-delà de la maîtrise de la PA. Cette recommandation indique la grande importance accordée aux interventions non pharmacologiques qui peuvent améliorer la santé globale et réduire le risque cardiovasculaire. Comme on a démontré que l’adoption de diverses saines habitudes de vie peut faire baisser la PA, le comité a choisi de ne pas nommer d’interventions particulières dans sa recommandation; il a conscience que les valeurs et préférences des gens peuvent différer quant aux changements à privilégier.
L’instauration d’une pharmacothérapie antihypertensive est recommandée pour les adultes qui ont une PA ≥140/90 mm Hg ainsi que pour les adultes qui ont une PAS de 130–139 mm Hg et sont exposés à un risque important de MCV (recommandation forte, données probantes d’un degré de certitude élevé).
Raison d’être : Lorsqu’une personne adulte reçoit un diagnostic d’HTA et qu’elle a une PA ≥140/90 mm Hg, on doit entreprendre une pharmacothérapie. Cette recommandation repose sur des données d’ECR qui démontrent qu’un traitement pharmacologique bénéficie à ces personnes. Dans de tels cas, sur une période de 5 ans, on observe notamment une réduction de 28 % du risque d’AVC (rapport de cotes [RC] 0,72, IC à 95 % 0,55–0,94) et de 22 % du risque de décès toutes causes confondues (RC 0,78, IC à 95 % 0,67–0,92), et ce, indépendamment du risque cardiovasculaire initial39,61.
On doit aussi instaurer une pharmacothérapie chez les adultes qui ont une PAS de 130–139 mm Hg et sont exposés à un risque élevé de MCV (Encadré 1)30,62,63. Ce seuil repose sur des données de méta-analyses d’ECR montrant que, chez ces personnes, un traitement pharmacologique réduit le risque d’événements cardiovasculaires indésirables majeurs, principalement parce que chaque baisse de 10 mm Hg de la PAS réduit le risque d’AVC de 60 %39,64.
Encadré 1. États et maladies associés à un risque cardiovasculaire élevé*MCV établie (cardiopathie ischémique, insuffisance cardiaque, maladie vasculaire cérébrale, maladie artérielle périphérique)
Diabète mellitus de type 1 ou de type 2
Maladie rénale chronique (DFGe <60 mL/min/1,73 m2 ou albuminurie ≥3 mg/mmol)
Score de Framingham sur 10 ans ≥20 %62
Âge ≥75 ans
DFGe—débit de filtration glomérulaire estimé, ESC—European Society of Cardiology, MCV—maladie cardiovasculaire; SPRINT—Systolic Blood Pressure Intervention Trial.
*Critères d’après le guide de pratique clinique sur la prise en charge de l’hypertension artérielle de l’ESC (2024)63 et l’essai SPRINT30.
Les professionnels et professionnelles de la santé doivent insister auprès de leur patientèle sur le fait que la pharmacothérapie doit s’accompagner de changements dans les habitudes de vie (et non s’y substituer), et que de réelles modifications des habitudes de vie pourraient mener à la réduction ou à la cessation de la médication. Chez les adultes dont la PAS est de 130–139 mm Hg et qui ne sont pas exposés à un risque cardiovasculaire élevé, on doit privilégier l’adoption de saines habitudes de vie, sans pharmacothérapie, et réévaluer la PA 3–6 mois plus tard. Si la PAS reste à 130–139 mm Hg et que la personne n’est toujours pas exposée à un risque cardiovasculaire élevé, nous recommandons une réévaluation de la PA tous les 6–12 mois.
Valeurs et préférences : Le comité du guide de pratique clinique a priorisé l’instauration rapide de la pharmacothérapie pour réduire le risque cardiovasculaire et a favorisé la prévention des complications associées à une PA élevée en ciblant les personnes exposées au risque le plus élevé. Le comité reconnaît que les bienfaits d’une pharmacothérapie restent incertains pour les personnes exposées à un faible risque (soit une PAS de 130–139 mm Hg sans aucune pathologie associée à un risque élevé). Cette recommandation accorde peu d’importance à l’évitement, au coût et à la tolérance de la pharmacothérapie, car la plupart des agents antihypertenseurs se trouvent maintenant sous forme générique à faible coût et sont bien tolérés.
Chez les adultes atteints d’HTA, un traitement qui repose sur l’adoption de saines habitudes de vie, avec ou sans pharmacothérapie, est recommandé afin d’atteindre une cible de PAS <130 mm Hg, à condition que le traitement soit bien toléré (recommandation forte, données probantes d’un degré de certitude élevé).
Raison d’être : La cible thérapeutique recommandée, soit une PAS <130 mm Hg, repose sur les données probantes d’ECR attestant les bienfaits d’une maîtrise rigoureuse de la PA27,28,30,39,44. Une méta-analyse d’ECR récente et vaste (plus de 70 000 participantes et participants) qui visait à évaluer des cibles de PA plus basses a montré que, comparée à une cible de PAS ≥130 mm Hg, une cible de PA <130 mm Hg permettait une réduction de 22 % des événements cardiovasculaires majeurs (RR 0,78, IC 95 % 0,70–0,87) et une réduction de 11 % des décès toutes causes confondues (RR 0,89, IC à 95 % 0,79–0,99)38. Notons que cette méta-analyse a également révélé que, comparée à une cible de PAS <140 mm Hg, une cible de PAS <120 mm Hg entraînait une réduction de 18 % des événements cardiovasculaires majeurs (RR 0,82, IC à 95 % 0,74–0,91) ainsi qu’une possible réduction des décès toutes causes confondues (RR 0,85, IC à 95 % 0,71–1,01)38. Dans le cadre de l’essai SPRINT (Systolic Blood Pressure Intervention Trial), mené afin de comparer une cible de PAS <120 mm Hg à une cible de PAS <140 mm Hg, le nombre de sujets à traiter (NST) était de 61 pour le principal paramètre cardiovasculaire mixte (infarctus du myocarde, autres syndromes coronariens aigus, AVC, insuffisance cardiaque ou décès d’origine cardiovasculaire), et le NST était de 90 pour les décès toutes causes confondues30.
Plutôt que de recommander une cible de PAS <120 mm Hg, nous avons choisi une cible plus conservatrice, soit une PAS <130 mm Hg, compte tenu des facteurs suivants : les mesures de PA dans des conditions de recherche sont généralement de 5–10 mm Hg inférieures à celles obtenues en pratique clinique courante25; les ECR modernes portant sur la maîtrise rigoureuse de la PA n’incluent que des participantes et participants ayant une PAS ≥130 mm Hg38; dans les grands ECR visant une PAS <120 mm Hg, la plupart des participantes et participants n’ont pas atteint cette cible27,29,30; et les commentaires des prestataires de soins de première ligne et de la patientèle appuyaient cette recommandation. Nous ne recommandons pas de cible précise pour la PAD, des données probantes indiquant que, chez les adultes qui ont une PAS <130 mm Hg, le risque cardiovasculaire reste relativement faible si la PAD est de 70–90 mm Hg65.
Bien que les ECR aient démontré la grande efficacité d’une maîtrise rigoureuse de la PA pour réduire les événements cardiovasculaires et le risque de décès27,28,30,40–44, on doit aussi soupeser les potentiels effets indésirables d’une maîtrise rigoureuse avant de l’entreprendre. Une méta-analyse récente d’ECR sur des cibles rigoureuses de PA a révélé une augmentation significative des effets indésirables suivants (même si les risques absolus mesurés par le ratio interventions/préjudices [RIP], étaient faibles) : hypotension (RIP 508, IC à 95 % 309–1425), syncope (RIP 1701, IC à 95 % 991–5999), chutes avec blessures (RIP 2941, IC à 95 % 1479–258 938), anomalies électrolytiques (RIP 3222, IC à 95 % 1150–4013), lésions rénales aiguës ou insuffisance rénale aiguë (RIP 1657, IC à 95 % 693–4235)38.
Des situations exceptionnelles, liées notamment aux objectifs de soins, à la fragilité de la personne, au risque de chute ou à l’hypotension orthostatique, peuvent justifier une cible de PAS plus élevée que 130 mm Hg pour réduire les effets indésirables. Dans de tels cas, nous recommandons d’abaisser la PAS autant que possible dans les limites du raisonnable, la cible devant se déterminer au cas par cas, selon le jugement clinique.
Valeurs et préférences : Le comité du guide de pratique clinique a accordé une valeur relativement importante à la simplification de la prise en charge de l’HTA en adoptant une cible thérapeutique unique pour l’ensemble des adultes, quels que soient le risque cardiovasculaire et les comorbidités. Nous avons conscience qu’une cible plus basse peut être bénéfique pour certaines personnes, tandis que d’autres ne peuvent tolérer qu’une cible plus élevée, mais cette recommandation privilégie la facilité de la mise en œuvre, conformément aux demandes en faveur d’une ligne de conduite plus pragmatique et mieux adaptée à la réalité des soins de première ligne.
Chez les adultes hypertendus nécessitant une pharmacothérapie, il est recommandé de commencer par un traitement d’association à faible dose combinant (idéalement en monocomprimé) des médicaments de 2 des 3 classes complémentaires suivantes : les IECA ou les ARA, les diurétiques thiazidiques ou de type thiazidique et les bloquants des canaux calciques (BCC) dihydropyridiniques à longue durée d’action (recommandation forte, données probantes d’un degré de certitude modéré).
Raison d’être : En moyenne, les IECA ou ARA, les diurétiques thiazidiques ou de type thiazidique, les BCC dihydropyridiniques et les bêtabloquants abaissent la PA de manière comparable66 et réduisent efficacement le risque cardiovasculaire lorsqu’ils sont utilisés à des doses optimales67. Toutefois, la diminution du risque cardiovasculaire (notamment du risque d’AVC) est moindre lorsqu’on traite l’HTA avec des bêtabloquants, qui, de plus, risquent davantage d’être abandonnés à cause de leurs effets indésirables68. Compte tenu de leur rapport bienfait–risque moindre, les bêtabloquants ne sont pas recommandés comme traitement de première intention de l’HTA, sauf en cas d’indication clinique particulière (p. ex., en cas d’insuffisance cardiaque, d’angine, de traitement suivant un infarctus du myocarde ou de maîtrise de la fréquence ou du rythme cardiaques)69,70. Les IECA ou les ARA, les diurétiques thiazidiques ou de type thiazidique et les BCC dihydropyridiniques sont bien tolérés, confèrent une protection cardiovasculaire similaire et doivent tous être considérés comme des agents de première intention dans le traitement de l’HTA67,71.
Toutefois, les IECA et les ARA sont tératogènes, particulièrement durant le deuxième ou le troisième trimestre de la grossesse, et leur utilisation doit donc être évitée ou arrêtée chez toute personne enceinte ou désirant le devenir72. De plus, toute personne en âge de procréer doit recevoir information et conseils sur le risque tératogène des IECA et des ARA dans le processus de prise de décision partagée.
Même si on préférait auparavant les diurétiques de type thiazidique aux diurétiques thiazidiques31, un ECR mené afin de comparer la chlorthalidone et l’hydrochlorothiazide a révélé une efficacité similaire de ces agents dans la réduction des événements cardiovasculaires indésirables (RR 1,04, IC à 95 % 0,94–1,16), et une incidence plus élevée de l’hypokaliémie avec la chlorthalidone (6,0 % c. 4,4 %, p <0,001)73.
Chez les adultes dont l’HTA nécessite un traitement pharmacologique, nous recommandons d’instaurer d’emblée un traitement d’association (idéalement en monocomprimé) qui combine un IECA ou un ARA et soit un diurétique thiazidique ou de type thiazidique soit un BCC dihydropyridinique à longue durée d’action. Environ 70 % des personnes adultes hypertendues nécessiteront plus d’une classe de médicaments pour réguler leur PA74, et l’on s’attend à ce que cette proportion augmente dans la mesure où l’on abaisse les cibles thérapeutiques.
L’association de doses faibles de différentes classes de médicaments produit des effets additifs d’abaissement de la PA, tout en limitant les effets indésirables66. Les données de méta-analyses montrent que les associations en monocomprimé réduisent la PAS moyenne de 4,0 mm Hg (IC à 95 % 0,1–7,9) de plus que les médicaments équivalents en association libre75. Ces associations médicamenteuses en monocomprimé permettent de maîtriser la PA chez environ un tiers de personnes de plus qu’une monothérapie standard (65 % c. 48 %, RR 1,32, IC à 95 % 1,20–1,45)76. Comparativement aux associations de médicaments libres, les associations en monocomprimé sont associées à une meilleure observance du traitement (RC 1,21, IC à 95 % 1,03–1,43) et à une possible tendance vers une persévérance thérapeutique accrue (RC 1,54, IC à 95 % 0,95–2,49)77. Une étude observationnelle portant sur plus de 100 000 personnes hypertendues a montré qu’un traitement initial par association médicamenteuse réduisait l’inertie thérapeutique : les personnes ainsi traitées étaient au-delà de 2 fois plus susceptibles de suivre une polythérapie après 3 ans que celles traitées initialement par une monothérapie78. De plus, chez les personnes qui avaient reçu le traitement par association dès le début, on observait une réduction de 16 % (IC à 95 % 10 %–21 %) des hospitalisations liées à des événements cardiovasculaires, et de 20 % (IC à 95 % 11 %–28 %) des décès toutes causes confondues78.
Les associations de médicaments en monocomprimé permettent également d’importantes économies par rapport aux associations libres équivalentes : selon une estimation réalisée dans le cadre d’une étude canadienne menée en 2009, ces économies varieraient de 27–45 millions par année79. Quant aux effets indésirables potentiels associés à l’utilisation des associations médicamenteuses en monocomprimé dans la prise en charge initiale de l’HTA, les données de méta-analyses ne montrent pas de différence entre ces dernières et les associations libres dans les taux d’abandon du traitement pour effets indésirables (RC 0,80, IC à 95 % 0,58–1,11)76,77 ou la monothérapie à dose standard (RR 1,19, IC à 95 % 0,83–1,69)76. Toutefois, l’incidence du vertige est plus élevée avec les associations en monocomprimé qu’avec la monothérapie à dose standard (RR 1,54, IC à 95 % 1,08–2,19)76.
Valeurs et préférences : Le comité du guide de pratique clinique a accordé une grande importance à l’instauration d’un traitement d’association combinant des médicaments efficaces et bien tolérés afin de réduire l’inertie thérapeutique et d’augmenter le temps de vie passé dans la cible thérapeutique. Les agents d’associations en monocomprimé sont souvent offerts à moindre coût que leurs composants individuels. Tout en reconnaissant l’incertitude potentielle quant à savoir quel est l’agent susceptible de provoquer une intolérance dans un traitement d’association en monocomprimé, le comité a accordé moins de poids à cette préoccupation qu’aux avantages d’un traitement rapide et efficace.
Si la PA demeure au-dessus de la cible malgré un traitement par association de 2 médicaments, un traitement par association de 3 médicaments combinant un IECA ou un ARA, un diurétique thiazidique ou de type thiazidique et un BCC dihydropyridinique à longue durée d’action est recommandé (recommandation forte, données probantes d’un degré de certitude modéré).
Raison d’être : Compte tenu des bienfaits mentionnés précédemment quant à la réduction efficace de la PA et du risque cardiovasculaire par rapport à d’autres classes de médicaments (voir la recommandation précédente), nous recommandons de privilégier l’association d’un IECA ou d’un ARA, d’un diurétique thiazidique ou de type thiazidique et d’un BCC dihydropyridinique à longue durée d’action chez les personnes adultes hypertendues nécessitant une pharmacothérapie67,80,81. Lorsqu’il faut recourir à 3 médicaments pour maîtriser la PA, nous recommandons d’associer ces 3 classes complémentaires. Soulignons que les IECA et les ARA ne doivent pas être utilisés en association, car ils augmentent le risque d’effets indésirables, notamment l’hyperkaliémie, l’insuffisance rénale aiguë, l’hypotension et la syncope, sans bienfait clinique supplémentaire82,83. Récemment, une trithérapie en monocomprimé combinant un IECA ou un ARA, un diurétique thiazidique ou de type thiazidique et un BCC dihydropyridinique s’est révélée efficace pour améliorer la maîtrise de l’HTA84–86. Cependant, le comprimé associant ces trois classes de médicaments n’est pas encore offert au Canada.
Valeurs et préférences : Le comité du guide de pratique clinique a privilégié l’utilisation de médicaments dont les bienfaits cardiovasculaires sont bien établis, par rapport à ceux dont ces bienfaits n’ont pas été clairement démontrés.
Si la PA demeure au-dessus de la cible malgré un traitement par association de 3 médicaments, soit un IECA ou un ARA, un diurétique thiazidique ou de type thiazidique et un BCC dihydropyridinique aux doses maximales tolérées, il est suggéré d’y ajouter de la spironolactone (recommandation conditionnelle, données probantes d’un degré de certitude modéré).
Raison d’être : Il y a HTA résistante lorsque la PA demeure au-dessus de la cible malgré l’observance d’un traitement associant un IECA ou un ARA, un diurétique thiazidique ou de type thiazidique et un BCC dihydropyridinique aux doses maximales tolérées63. Dans ce contexte, l’ajout de spironolactone entraîne une réduction de la PAS nettement supérieure à celle observée avec d’autres agents de quatrième intention. L’ECR PATHWAY-2 a montré que, chez les adultes aux prises avec une HTA résistante, la baisse moyenne de la PAS était plus importante avec la spironolactone qu’avec le placebo (8,7 mm Hg, IC à 95 % 7,7–9,7), la doxazosine (4,0 mm Hg, IC à 95 % 3,0–5,0) et le bisoprolol (4,5 mm Hg, IC à 95 % 3,5–5,5)87. Des sous-analyses mécanistes ultérieures ont montré que, chez une forte proportion de ces personnes, ces résultats étaient liés à un dérèglement de la production d’aldostérone88. Toutefois, aucune donnée prospective ne démontre que la spironolactone donne de meilleurs résultats cardiovasculaires que d’autres agents antihypertenseurs.
L’essai PATHWAY-2 n’a révélé aucune différence entre la spironolactone et la doxazosine, le bisoprolol ou le placebo, en ce qui concerne les événements indésirables graves ou les abandons pour effets indésirables (dont l’hyperkaliémie et la gynécomastie)87. On sait toutefois que la spironolactone augmente le risque d’hyperkaliémie, particulièrement chez les personnes atteintes d’une maladie rénale chronique (chez qui son utilisation triple le risque d’hospitalisation liée à l’hyperkaliémie)89 et chez les personnes prenant d’autres médicaments qui augmentent la kaliémie (p. ex., les IECA ou les ARA)90. Nous recommandons de vérifier la concentration sérique de potassium 2–4 semaines après le début du traitement par la spironolactone, de même qu’après toute modification posologique. En raison des effets antiandrogènes de la spironolactone, il importe d’informer les hommes du risque de gynécomastie. Par exemple, dans l’essai RALES (Randomized Aldactone Evaluation Study), on a administré de façon aléatoire soit de la spironolactone à 25 mg soit un placebo à des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection réduite, et 10 % des hommes qui ont reçu de la spironolactone sont venus à présenter une gynécomastie, comparativement à 1 % dans le groupe placebo91.
Chez les personnes dont l’HTA est résistante, on doit envisager le dépistage de causes secondaires de l’HTA et l’aiguillage vers une prise en charge spécialisée. Plus précisément, étant donné la forte prévalence de l’hyperaldostéronisme primaire chez les personnes atteintes d’HTA résistante92–95, nous recommandons d’effectuer un dosage de l’aldostérone et de la rénine (idéalement avant l’introduction de la spironolactone96.
Valeurs et préférences : Le comité du guide de pratique clinique a accordé une grande importance au fait que l’action hypotensive démontrée de la spironolactone est supérieure à celle des autres agents de quatrième intention, tout en donnant peu de poids aux potentiels effets indésirables, notamment le risque d’hyperkaliémie associé à son utilisation. Le degré de certitude moindre des données probantes sur lesquelles s’appuie cette recommandation reflète la rareté des données disponibles sur les bienfaits cardiovasculaires à long terme du traitement.
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