Une carriere marquee par la lutte contre lapartheid: Linegalite a revele au Dr Merrick Zwarenstein limportance des equipes de soins primaires et de levaluation des interventions

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Très tôt dans sa carrière de chercheur en Afrique du Sud, le Dr Merrick Zwarenstein a constaté combien les politiques discriminatoires de l’apartheid influençaient la prestation des soins de santé et les tendances de maladies dans ce pays. Son intérêt pour la justice sociale l’a amené à travailler dans des communautés défavorisées et à se pencher sur le potentiel de l’utilisation des données pour évaluer des solutions pratiques à des problèmes difficiles dans le domaine de la santé.

Dans une étude publiée dans le numéro de mai 2024 du Médecin de famille canadien, Aggarwal et ses collaborateurs ont présenté les contributions de chercheurs en soins primaires très productifs au Canada et ont identifié des personnes dont les travaux ont été largement cités dans la littérature médicale1. Le Dr Zwarenstein a été reconnu comme étant le chercheur en soins primaires qui a obtenu le cinquième plus grand nombre de citations. Des statistiques supplémentaires sur la carrière du Dr Zwarenstein figurent dans l’Encadré 1, et les articles révisés par les pairs les plus cités dont il est l’auteur principal sont énumérés dans l’Encadré 2.

Encadré 1. Dr Merrick Zwarenstein, en chiffes : Données en date de janvier 2023.

Nombre de publications : 315

Nombre de publications comme auteur principal : 51

Nombre de citations comme auteur principal : 3593

Nombre total de citations : 17 151

Indice h de l’auteur*, 2007 à 2022 : 58

*L’indice h est calculé en prenant le plus grand nombre d’articles publiés par un auteur ou une auteure qui ont tous reçu au moins le même nombre de citations (h).

Encadré 2. Publications les plus citées où il est auteur principal

Zwarenstein M, Treweek S, Gagnier JJ, Altman DG, Tunis S, Haynes B et coll. Improving the reporting of pragmatic trials: an extension of the CONSORT statement. BMJ 2008;337:a2390. Publ. en ligne du 11 nov. 2008.

Zwarenstein M, Goldman J, Reeves S. Interprofessional collaboration: effects of practice-based interventions on professional practice and healthcare outcomes. Cochrane Database Syst Rev 2009;(3):CD000072.

Zwarenstein M, Reeves S, Barr H, Hammick M, Koppel I, Atkins J. Interprofessional education: effects on professional practice and health care outcomes. Cochrane Database Syst Rev 2001;(1):CD002213.

Zwarenstein M, Schoeman JH, Vundule C, Lombard CJ, Tatley M. Randomised controlled trial of self-supervised and directly observed treatment of tuberculosis. Lancet 1998;352(9137):1340-3.

Zwarenstein M, Reeves S. Knowledge translation and interprofessional collaboration: where the rubber of evidence-based care hits the road of teamwork. J Contin Educ Health Prof 2006;26(1):46-54.

Cet entretien avec le Dr Zwarenstein, professeur au département de médecine de famille et au département d’épidémiologie et de biostatistique de l’Université Western à London, en Ontario, est le dernier de notre série en cinq parties consacrée aux chercheurs en soins primaires les plus cités au Canada.

Vos recherches ont porté sur un éventail de questions concernant les services de santé et la méthodologie. Comment votre programme de recherche a-t-il vu le jour et comment a-t-il évolué?

Oui, je sais que c’est difficile de croire qu’il y a un lien entre ce large éventail de sujets! Mais j’ai trouvé des liens entre la microbiologie des vecteurs du choléra, la mauvaise répartition des ressources sanitaires causée par l’apartheid, l’évaluation des soins contre la tuberculose au moyen d’essais contrôlés randomisés (ECR), l’ethnographie du travail d’équipe dans les hôpitaux de soins tertiaires, les analyses systématiques de la collaboration et de la formation interprofessionnelles, et la mise en œuvre et l’évaluation à l’aide d’ECR d’une série d’interventions visant à promouvoir la prestation de soins fondés sur des données probantes par les médecins de famille, les infirmières et les travailleurs de la santé peu spécialisés.

Mon travail est généralement multidimensionnel, et il englobe plusieurs domaines de recherche sur les maladies ou les soins de santé, ainsi que des activités de recherche méthodologique. Bien que les liens entre ces éléments soient peu apparents à première vue, il y a généralement un rapprochement et une interaction entre eux que je découvre à mesure que j’approfondis les pistes de recherche les plus gratifiantes, que j’en mets d’autres en veilleuse et que j’en élimine certaines qui ne sont pas satisfaisantes, qui ne peuvent pas être financées, qui ne sont pas viables ou qui n’attirent pas de collaborateurs animés par les mêmes idées. Je n’ai jamais eu de programme de recherche personnel clairement défini. J’ai plutôt été porté à tenter de résoudre d’importants problèmes en santé avec des collaborateurs cliniques, politiques, méthodologiques et de programme qui partagent les mêmes idées. J’ai découvert en cours de route que les compétences méthodologiques ne sont pas appréciées à leur juste valeur, mais qu’elles sont essentielles pour avancer dans la résolution de problème, et que les questions liées à la méthodologie sont elles-mêmes un domaine de recherche gratifiant.

Je suis né dans l’Afrique du Sud de l’apartheid. Il s’agissait d’une société extrêmement injuste où l’inégalité des chances, intentionnelle et imposée par la loi, produisait des tendances de maladies et des soins de santé qui différaient en fonction de la race désignée par l’État et du lieu de résidence imposé par l’État. Des sociétés comme l’Afrique du Sud forcent un grand nombre de gens à s’engager politiquement au-delà de leur intérêt personnel. Ainsi, dans la foulée du mouvement général d’activisme contre l’apartheid, d’autres personnes qui avaient un intérêt en santé et moi-même nous sommes consacrés à dénoncer les politiques de santé de l’apartheid et à nous y opposer. Sous la surveillance hostile des services de sûreté de l’État et avec une marge de manœuvre limitée, je me suis initié à l’épidémiologie descriptive et aux systèmes d’information géographique pour décrire les inégalités découlant des politiques racistes, et je me suis familiarisé avec les méthodes qualitatives et randomisées pour travailler avec les communautés défavorisées afin de mettre en œuvre et d’évaluer des interventions pratiques au sein des systèmes de santé locaux.

C’est mon travail au sein du South African Voluntary Service, une organisation étudiante parascolaire, ainsi que des ouvrages comme Là où il n’y a pas de docteur de David Werner et Paediatric Priorities in the Developing World de David Morley, qui m’ont incité à me pencher sur les ressources humaines dans le domaine des soins primaires2,3. Ces ouvrages m’ont appris que les médecins constituaient une ressource rare, coûteuse et essentiellement urbaine, que la plupart des Sud-Africains dépendaient des infirmières et des travailleurs de la santé peu spécialisés basés dans les communautés pour recevoir des soins primaires, et que ces prestataires pouvaient être intégrés dans une équipe de soins primaires efficace pourvu qu’ils aient le soutien des communautés et qu’ils bénéficient d’une formation et de lignes directrices adaptées à leur contexte. Pendant nos études, nous avons travaillé dans des régions rurales défavorisées, d’abord pour construire des salles de classe, mais en nourrissant l’ambition de construire ensuite des cliniques et de former et de soutenir des travailleurs de la santé locaux peu spécialisés. Nous avons été accompagnés dans ces efforts par des travailleurs migrants membres d’une communauté rurale et par une religieuse infirmière sage-femme héroïque d’une clinique catholique voisine. Ce projet a connu un succès temporaire, mais il a fini par être compromis par une malheureuse tragédie, par la police chargée de la sûreté et par les autorités locales, ainsi que par nos propres capacités limitées.

Cela m’a convaincu de l’importance des équipes de soins primaires, de la formation et de la mise en place de lignes directrices, ainsi que du leadership de la communauté. J’ai également compris l’importance de l’évaluation de ces interventions et j’ai pris conscience que je n’étais pas du tout équipé pour le faire. Un épidémiologiste du South African Medical Research Council (SAMRC), Les Irwig, avait été mon mentor en matière d’évaluation. À son tour, il avait fait venir en Afrique du Sud Dave Sackett, le célèbre essayiste canadien, pour qu’il y fasse une tournée de conférences. Dave était un professeur inspirant qui en a captivé plus d’un, moi y compris, avec des exemples d’essais contrôlés simples et impartiaux évaluant des interventions complexes. Ces deux thèmes de mes premiers travaux d’étudiant (les méthodes d’évaluation des ERC et l’organisation et la formation des ressources humaines non médicales pour les soins primaires dans les communautés défavorisées) ont constitué la base de la plupart de mes travaux depuis.

Vous avez dit regretter d’avoir abandonné le travail clinique au début de votre carrière de chercheur. Comment en êtes-vous venu à prendre cette décision?

Il manquait bien entendu de médecins en Afrique du Sud, en particulier dans les communautés défavorisées, mais même si le défi clinique était passionnant, je trouvais cette responsabilité accablante et je me suis vite épuisé. Peut-être y avait-il trop peu de supervision ou de soutien pour aider les jeunes cliniciens à gérer le lourd fardeau des patients très malades.

Si les médecins de soins primaires se faisaient rares, les Sud-Africains désireux de résoudre les problèmes du système de santé par la recherche l’étaient encore plus, et c’est ainsi que des possibilités de recherche ont vu le jour. Mon intérêt a attiré l’attention des chefs d’entreprise de l’unité de recherche en épidémiologie en plein essor au SAMRC. C’était un endroit et un moment stimulants. J’avais tant à apprendre que cela monopolisait toute mon attention, et je me suis éloigné de la pratique clinique. J’ai obtenu une bourse du British Council pour étudier la santé communautaire et l’épidémiologie à la London School of Hygiene and Tropical Medicine [au Royaume-Uni], et je suis revenu peu après l’obtention de mon diplôme pour occuper un poste de recherche à temps plein au SAMRC, où je me suis détourné définitivement du travail clinique.

Même si le fait de poursuivre mon travail clinique aurait pu ancrer mes recherches plus profondément dans un problème de santé ou une spécialité en particulier, ce n’est pas la raison pour laquelle je regrette ma décision : le peu de temps que j’ai passé à fournir des soins personnels aux patients et à leurs familles a été la période que j’ai trouvé la plus gratifiante sur le plan émotionnel. Même si la responsabilité semblait accablante à l’époque, si j’avais continué, je pense que j’aurais pu trouver une clinique accueillante où j’aurais pu perfectionner mes compétences et acquérir de l’assurance, éviter l’épuisement professionnel et continuer à travailler à temps partiel dans le domaine clinique.

Qui et quelles expériences vous ont le plus aidé à acquérir des connaissances et des compétences dans le domaine de la recherche?

L’Afrique du Sud a une longue tradition d’innovation en matière de santé communautaire engagée, avec notamment les Kark dans les années 1940 (fondateurs des soins primaires complets et globaux), et un passé tout aussi riche en matière d’épidémiologie, avec notamment les Susser dans les années 1960 (fondateurs de l’épidémiologie analytique à l’Université Columbia à New York [New York]). Les Irwig, Duncan Saunders et le regretté Alan Herman du SAMRC m’ont incité à évaluer les interventions. J’ai découvert l’autodidaxie grâce à mes parents, Sam Zwarenstein, ébéniste et socialiste sa vie durant, et Esther Rootshtain, une commis de banque qui ne laissait jamais une tâche inachevée. Teddy Matsetela m’a appris à travailler avec sa communauté. Colleen Butcher m’a encouragé à donner une nouvelle orientation au South African Voluntary Service. David Webster et les frères Roussos m’ont montré comment devenir un meilleur citoyen (et à être plus à l’écoute). Scott Reeves m’a montré que la théorie sociale sous-tendait la recherche qualitative et vice versa. Et pour jeter un coup d’œil dans les coulisses de ma profession, Vinod Diwan a démystifié les organisations mondiales du domaine de la santé. Mary Lou Thompson et Carl Lombard ont enrichi mes maigres connaissances en biostatistique. Dave Sackett m’a incité à faire des études randomisées. Andy Oxman, Jeremy Grimshaw et Sir Iain Chalmers m’ont fait découvrir les examens systématiques et la recherche sur la mise en œuvre. Lucy Wagstaff m’a révélé les pouvoirs cachés des infirmières, et David Naylor m’a aidé à déménager au Canada. Et bien d’autres gens m’ont aidé en cours de route.

Dans quelle mesure votre carrière a-t-elle été influencée par des circonstances inattendues plutôt que par une planification mûrement réfléchie?

Presque entièrement par les occasions que j’ai refusées! J’ose croire que je me suis orienté en ne saisissant que celles qui pouvaient le mieux me mener dans des directions qui m’intéressaient déjà, une sorte d’approche d’apprentissage par le renforcement tout au long de ma carrière.

Parmi vos travaux de recherche, quels sont ceux dont vous êtes le plus fier?

L’extension de la déclaration CONSORT [(Consolidated Standards of Reporting Trials)] sur les rapports sur les ECR pragmatiques, et les lignes directrices PRECIS [(Pragmatic-Explanatory Continuum Indicator Summary)] et PRECIS-2 pour la conception d’ECR visant à soutenir la prise de décision4-6. Et aussi, des ECR sur le traitement directement observé de la tuberculose7, des ECR sur la formation des infirmières cliniciennes aux lignes directrices fondées sur des données probantes, des ECR à grande échelle sur le matériel pédagogique imprimé et effectués à l’aide de données administratives à un coût minimal8, des examens systématiques de la formation des travailleurs de la santé peu spécialisés, des examens systématiques d’interventions visant à promouvoir la formation interprofessionnelle9 et des examens systématiques d’interventions visant à promouvoir la collaboration interprofessionnelle dans la pratique10,11.

Quels sont les défis et les déceptions auxquels vous avez été confronté au cours de votre carrière?

Changer de pays en cours de carrière n’a pas été facile, mais j’ai trouvé une communauté de chercheurs accueillants et extrêmement compétents à l’Université de Toronto [en Ontario], à l’ICES et à l’Université Western, ce qui a rendu cette expérience enrichissante. Je pense que ma plus grande déception a été de ne pas trouver de financement pour la recherche visant à améliorer les méthodes de recherche, en particulier les ECR. Cela pourrait changer avec l’investissement des IRSC [(Instituts de recherche en santé du Canada)] destiné à renforcer les capacités en matière d’ECR.

Comment avez-vous réussi à concilier votre vie personnelle et votre vie professionnelle?

Avec le temps et le mentorat, j’ai appris à organiser ces aspects de ma vie de manière à ce qu’ils se complètent l’un l’autre.

Quelles réflexions aimeriez-vous transmettre à la relève de la recherche en soins primaires?

Travaillez au sein d’équipes qui vous soutiennent, lisez beaucoup de choses qui dépassent largement votre domaine de compétence, et suivez votre curiosité tout en restant ouvert aux critiques. Utilisez des méthodes de recherche fiables et investissez pour les améliorer. Efforcez-vous de créer un prix Nobel annuel pour la démonstration qu’une innovation largement encensée n’a pas (encore) produit les résultats espérés dans des conditions réelles.

Notes

Entrevues d’influence été une série limitée publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par la Section des chercheurs (SdC) du Collège des médecins de famille du Canada. En mettant pleins feux sur les cinq chercheurs canadiens en soins primaires les plus cités, la SdC souhaitait célébrer leurs contributions et inspirer d’autres à s’engager dans ce domaine. Apprenez-en davantage sur la SdC au https://www.cfpc.ca/fr/member-services/committees/section-of-researchers.

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