Jenny est une femme de 32 ans (G1P0—1 grossesse, 0 naissance) qui vit dans un centre urbain. Elle vous consulte à la clinique parce qu’elle a reçu des tests de grossesse positifs à la maison. En fonction des dates de ses dernières règles, elle est enceinte de 6 semaines et la date prévue de l’accouchement est en novembre. Jenny voudrait en savoir davantage à propos des diverses options pour protéger son nourrisson contre le virus respiratoire syncytial (VRS). Plus précisément, elle se demande si elle devrait recevoir le VRSpreF, le nouveau vaccin administré durant la grossesse. Elle aimerait aussi avoir des renseignements au sujet de l’anticorps monoclonal (mAb) nirsevimab pour les nourrissons.
Sources de l’informationLes renseignements sur le fardeau des maladies causées par le VRS chez les nourrissons dans les pays à revenu élevé sont issus de la recherche documentaire1. Les données probantes sur l’efficience, l’efficacité et l’innocuité du nirsevimab sont dérivées d’études observationnelles et de 3 essais randomisés contrôlés2-9. Les données probantes sur le VRSpreF pour la prévention de l’infection causée par le VRS chez les nourrissons sont tirées de 2 essais randomisés contrôlés10,11. Les données probantes disponibles au public, présentées et discutées par des agences d’examen (comme le comité consultatif sur les médicaments antimicrobiens et son comité consultatif sur les vaccins et les produits biologiques connexes de la Food and Drug Administration des États-Unis) ont aussi été passées en revue12-18. D’autres renseignements ont été obtenus dans les monographies du produit sur le palivizumab, le nirsevimab et le VRSpreF19-21. En outre, cet article fait référence aux nouveaux conseils publiés le 17 mai 2024 par le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) sur la prévention de la maladie causée par le VRS chez les nourrissons22.
Message principalFardeau de la maladie. Le virus respiratoire syncytial infecte presque tous les nourrissons dans le monde avant l’âge de 2 ans23. Parmi les facteurs de risque d’une infection sévère due au VRS figurent la prématurité, l’âge inférieur à 1 an, une maladie cardiorespiratoire préexistante, l’immunodépression et la résidence dans des communautés autochtones éloignées ou nordiques24. Même si ces nourrissons sont à risque plus élevé de complications graves, le fardeau global pour le système de santé est principalement attribuable aux soins de santé prodigués à des nourrissons en santé nés à terme1.
Produits immunisants contre le virus respiratoire syncytial. Trois produits immunisants sont accessibles pour la prévention d’une infection sévère due au VRS chez les nourrissons : 2 mAb, soit le palivizumab et le nirsevimab, et 1 vaccin administré durant la grossesse, le VRSpreF. Les 3 produits augmentent le modeste degré d’immunité passive que reçoivent les nourrissons au départ par l’intermédiaire du transfert transplacentaire des anticorps développés par la femme enceinte ou la personne enceinte à la suite d’infections naturelles antérieures au VRS25. Les anticorps monoclonaux procurent aux nourrissons une immunité passive par l’injection directe d’anticorps protecteurs. Ce processus diffère d’une immunité active selon lequel la production d’anticorps est induite contre les antigènes du vaccin. Le VRSpreF est un vaccin à sous-unité de protéine administré durant la grossesse qui, par la vaccination active de la femme enceinte ou de la personne enceinte, entraîne la transmission au fœtus d’anticorps spécifiques contre la protéine F en conformation de perfusion par le transfert placentaire pour sa protection après la naissance1. Dans le cas du nirsevimab et du VRSpreF, les anticorps transmis passivement sont dirigés contre la protéine F en conformation de perfusion stabilisée en se liant à la protéine F à la surface du VRS et en inhibant l’activité virale11,26,27.
Jusqu’en 2023, le palivizumab était la seule option offerte pour prévenir une maladie sévère causée par le VRS chez les nourrissons et les jeunes enfants. Au Canada, le palivizumab ne peut pas être obtenu à titre privé. Il n’est disponible que par l’entremise des programmes provinciaux financés par le secteur public, pour un petit nombre de nourrissons à risque accru de complications graves d’une infection au VRS en raison : de la prématurité (habituellement ceux de moins de 30 à 32 semaines d’âge gestationnel); de problèmes médicaux particuliers, comme une dysplasie bronchopulmonaire ou une cardiopathie congénitale; ou du fait de résider dans une communauté inuite éloignée ou nordique28. Il faut habituellement recevoir 1 injection mensuelle pendant 4 mois19, à un coût moyen de 1227 $ par dose29.
En avril 2023, un nouveau mAb à action prolongée, le nirsevimab, a été approuvé par Santé Canada. Il est administré par injection intramusculaire et est autorisé pour les nourrissons au début ou durant leur premier épisode saisonnier du VRS et pour les enfants de 24 mois ou moins qui demeurent vulnérables à une infection grave causée par le VRS durant leur deuxième saison du VRS20. Comme produit immunisant pour des nourrissons en santé, le nirsevimab est une intervention relativement coûteuse, car son prix annoncé se situe à 952 $ par dose29.
En janvier 2024, Santé Canada a homologué un vaccin sous-unitaire de protéine, le VRSpreF, à administrer durant la grossesse. Une indication distincte pour les personnes de 60 ans ou plus visant à prévenir la maladie causée par le VRS chez les adultes plus âgés a aussi été approuvée pour ce vaccin19. Le VRSpreF est administré entre 32 et 36 semaines de gestation21. Habituellement, 2 semaines doivent s’écouler entre l’administration du VRSpreF et la naissance pour permettre un transfert suffisant des anticorps maternels22. Le prix annoncé du VRSpreF est de 230 $ par dose29.
Tous les produits immunisants contre le VRS sont à titre prophylactique seulement et ne servent pas de traitement contre la maladie. Aux États-Unis, des erreurs d’administration ont été observées : par exemple, des nourrissons ont reçu un VRSpreF, tandis que des femmes enceintes et des personnes enceintes ont reçu un vaccin différent contre le VRS, qui est autorisé seulement pour les adultes de 60 ans ou plus (lire la section sur l’innocuité plus loin).30,31 Le recours à la fois au VRSpreF et à un mAb n’est pas nécessaire, sauf dans des circonstances précises (voir la Résolution du cas plus loin).
Efficience et efficacité. Chez les nourrissons, durant leur premier épisode saisonnier du VRS, le nirsevimab a pour résultat de réduire les hospitalisations, et des études observationnelles portant sur la saison de 2023 à 2024 du VRS ont fait valoir une efficience variant de 82 à 90 %5-9. Des données probantes portent aussi à croire que le nirsevimab réduit le nombre d’admissions en unité de soins intensifs (USI) et d’infections au VRS suivies médicalement2,3,7. Chez les nourrissons à risque élevé, durant leur premier et leur deuxième épisodes saisonniers du VIR, des données probantes font valoir que le nirsevimab a probablement pour effet de réduire les admissions en USI, les hospitalisations et les maladies dues au VRS qu’il faut suivre médicalement par rapport au palivizumab4,32. Les données probantes sont limitées concernant l’effet du nirsevimab contre la mortalité infantile en raison de l’infection au VRS. Les données disponibles indiquent qu’une seule dose de nirsevimab procure un degré constant de protection sur 150 jours, et l’on s’attend à ce qu’il soit efficace pendant 8 mois au moins après l’administration, d’après des données pharmacocinétiques2,3,33.
Des données probantes indiquent que le VRSpreF administré aux femmes enceintes et aux personnes enceintes se traduit par une réduction des admissions en USI, des hospitalisations et des maladies causées par le VRS exigeant des soins médicaux chez leurs nourrissons durant leur première saison du VRS11. Comme dans le cas du nirsevimab, les données probantes disponibles étaient limitées quant à l’effet du VRSpreF sur la mortalité infantile attribuable à l’infection au VRS. Selon les observations dans un essai clinique, l’efficacité du VRSpreF était la plus élevée à 90 jours après la naissance et diminuait de manière constante par la suite11. Il est improbable que la protection conférée par le VRSpreF dure plus longtemps que 6 mois chez le nourrisson, étant donné les niveaux décroissants des anticorps passivement transférés11.
Le nirsevimab n’a pas fait l’objet d’une comparaison directe avec le VRSpreF dans un essai clinique, mais il pourrait être plus efficace si on se base sur des études distinctes qui montrent une efficacité de 76,4 % à 150 jours pour le nirsevimab et une efficacité de 51,3 % à 180 jours pour le VRSpreF selon le paramètre des infections au VRS exigeant des soins médicaux3,11.
L’efficacité du VRSpreF pour prévenir la maladie causée par le VRS chez les femmes enceintes et les personnes enceintes elles-mêmes n’a pas été évaluée dans les essais cliniques et elle est donc encore inconnue.
Innocuité. Des données probantes font valoir que le nirsevimab n’augmente pas le risque d’événements indésirables (EI) sérieux (p. ex. décès, hospitalisation, incapacité considérable), d’EI systémiques (p. ex. fièvre), ou d’EI localisés (p. ex. rougeur ou enflure au site d’injection) par rapport au placebo ou au palivizumab2-4.
Lorsque le VRSpreF est administré durant la grossesse, la réception du vaccin ne cause pas d’augmentations des EI graves chez les récipiendaires ou leurs nourrissons par rapport au placebo. Toutefois, chez les femmes enceintes et les personnes enceintes, le VRSpreF peut accroître le risque d’EI localisés sévères (plus précisément la rougeur, l’enflure et la douleur) par rapport au placebo10,11.
La fréquence des EI graves était semblable chez les participantes enceintes et les nourrissons, tant chez les récipiendaires du VRSpreF que celles du placebo12-16. Par ailleurs, un déséquilibre numérique dans les naissances prématurées a été observé entre les récipiendaires du VRSpreF et celles du placebo, mais sans être statistiquement significatif10,11,16,17. Un essai de phase III d’un vaccin semblable pour les femmes enceintes, le VRSPreF3, a été interrompu en raison d’une différence statistiquement significative dans les naissances prématurées (le VRSPreF3 a par la suite été autorisé par Santé Canada pour la prévention des maladies causées par le VRS chez les adultes de 60 ans ou plus)18,34,35. On ne sait pas encore s’il y a une relation de cause à effet entre le vaccin et les naissances prématurées, et les données sur l’innocuité du vaccin continuent de faire l’objet d’une surveillance. Pour atténuer tout risque potentiel de naissances prématurées dues au VRSpreF, Santé Canada a limité à la période de 32 à 36 semaines de gestation l’intervalle de dosage autorisé21.
Recommandations du CCNI. Le Comité consultatif national de l’immunisation a récemment publié des conseils actualisés sur la prévention de la maladie causée par le VRS chez les nourrissons, qui portent sur tous les produits immunisants contre le VRS autorisés22.
Résolution du casÉtant donné que le VRSpreF est administré aux femmes enceintes ou aux personnes enceintes après 32 semaines de gestation et que les mAb sont donnés aux nourrissons après la naissance, Jenny a du temps pour prendre sa décision. La décision de Jenny de recevoir ou non le VRSpreF dépendra de la disponibilité des divers produits immunisants contre le VRS dans sa région, des produits qui sont financés au public, de sa couverture par une assurance privée (p. ex. par l’intermédiaire de son employeur) qui pourrait couvrir l’un ou l’autre des produits, et de l’état de santé de l’enfant après la naissance. Ces éléments à envisager pourraient être modifiés, compte tenu de la disponibilité changeante des produits dans les programmes publics et le marché privé.
Certaines instances provinciales et territoriales pourraient mettre en œuvre un programme universel du nirsevimab pour l’épisode saisonnier du VRS de 2024 à 2025. Par exemple, le Québec a annoncé qu’il offrira gratuitement le nirsevimab à tous les nourrissons de moins de 6 mois à compter de septembre 2024; de même, le gouvernement de l’Ontario financera à même les fonds publics le nirsevimab pour les nourrissons et les enfants à risque élevé jusqu’à l’âge de 24 mois36,37. Dans ces cas, les nourrissons recevront le nirsevimab après la naissance, le VRSpreF n’étant ainsi plus nécessaire durant la grossesse. Par ailleurs, si l’on s’attend à ce que le nirsevimab ne soit pas administré (p. ex. si le parent préfère que le nourrisson ne reçoive pas ce produit), le VRSpreF peut être envisagé entre 32 et 36 semaines de gestation. L’Ontario a indiqué qu’il offrira aux femmes enceintes le choix de recevoir ou non le VRSpreF37.
Jenny pourrait vivre dans une province ou un territoire qui limite son programme public de nirsevimab ou de palivizumab aux nourrissons nés prématurément, ou qui ont certaines circonstances médicales ou sociales qui augmentent leur risque d’une maladie sévère causée par le VRS. Jenny pourrait alors envisager de recevoir le VRSpreF durant sa grossesse, ce qui procurerait une protection adéquate, pourvu que son enfant naisse à terme et sans conditions identifiées comme à risque sur le plan médical ou social. Le nirsevimab ne serait pas nécessaire dans ce cas, parce qu’une protection minimale additionnelle serait obtenue. Il se pourrait aussi qu’il soit impossible pour Jenny d’avoir accès au nirsevimab sur le marché privé pour son nourrisson en santé et né à terme, en raison de la non-disponibilité ou du coût exorbitant. Par ailleurs, si le nourrisson est né moins de 2 semaines après l’administration du VRSpreF, ou s’il est admissible au nirsevimab après la naissance en raison d’une prématurité ou d’un facteur de risque, le CCNI recommande que le nourrisson reçoive quand même le nirsevimab, s’il est disponible, qu’importe l’état vaccinal au VRSpreF de Jenny22.
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